Oxymores
Oxymores ; ce qui se réfléchit
Les recherches et études de Kiran Katara portent, depuis quelques temps, sur un des grands enjeux de l’esthétique occidentale : la transparence.
Souvenons-nous des maîtres flamands de la Renaissance, qui, procédant par glaçage, firent entrer la lumière dans leurs tableaux. En multipliant des couches de couleurs opaques et en les voilant de couches filtrantes plus légères, ils obtinrent ainsi des reflets. En même temps, l’intérêt pour la « nature morte » leur permettait de mettre l’accent sur les objets de la vie courante en les magnifiant.
De leur côté, à la même époque, les lettrés chinois pratiquaient l’art de l’encre et de la transparence en laissant apparaître le vide, qu’ils appelaient blanc volant. Quant aux précieux objets laqués qui reflétaient la lumière des bougies, c’était l’atmosphère générale du lieu qui s’illuminait de manière vibratoire.
Par ce dénominateur commun aux deux civilisations nous distinguons des points de vue spécifiques appartenant à leur philosophie et à leur spiritualité. Mais au lieu de vouloir entretenir les antinomies Occident-Orient, proche-lointain…, « Oxymores » réfléchit et absorbe les contraires pour nous permettre, à partir de représentations d’objets quotidiens, de questionner la transparence ainsi que le pouvoir de la lumière. Kiran Katara abandonne la conjonction « ou », qui nous impose de faire un choix et de trancher, au profit de la conjonction de coordination « et » qui admet un accord, voire même une harmonie entre par exemple le réel et l’imaginaire, le figuratif et l’abstrait, le dessus et le dessous, l’ouvert et le fermé, le net et le flou, …
« Oxymores » met en relation des contraires qui en se fréquentant s’harmonisent pour créer d’autres perspectives. Au propre comme au figuré, ils donnent l’occasion à Kiran Katara de réfléchir la lumière.
Simone Schuiten
« Oxymores »
La série de dessins que je présente ici constitue l’occasion de mettre en tension et en évidence ce qui dans mon travail constitue des invariants : la couleur noire, la matière mate du dessin, l’économie de matière, le jeu, le surgissement poétique. Jusqu’à ce jour j’ai travaillé la figure mathématique, le dessin de l’écriture, la poésie abstraite. Ici je taquine la figuration, ce ne sont pour moi que des outils de pensée. J’aime montrer le processus. Je cherche.
J’explore le thème de la transparence. Le verre, matière ou objet, les deux.
Par oxymores, variations, itérations, glissements, séries, miroirs, reflets ; regarder. Les peintures-dessins visent la complexité autant que le calme ; une atmosphère silencieuse. Je représente la transparence en utilisant une encre opaque, l’huile, la cire, je travaille le plus souvent[1] sans eau.
Les reflets inversent le monde et troublent l’observateur, ils questionnent notre rapport au réel et à l’illusoire ; la vision est kaléidoscopique et fractale. Ils nous montrent avec humour des « sens dessus-dessous », des paysages inversés ou notre propre image en jouant de réserves et d’apparitions. Ici, point de réalisme parfait. L’agrandissement n’offre pas de vision plus claire, il faut au contraire s’éloigner pour « voir » quelque chose. La matière de la peinture, mate (absorbante) et la dimension nous attirent dans le dessin nous invitant à devenir acteurs mais tout petits comme Alice au pays des merveilles, nous sommes confrontés à l’absurde, au paradoxe et au bizarre, au flou.
Les sauts d’échelle et la variation de la hauteur du regard changent notre point de vue. Les contenants choisis (verres, vases, flacons…), les contenus (liquides, solides…), sont des objets de mon quotidien, saisis sur le vif, pris dans l’urgence de peindre. Agrandis ils deviennent matrice-réceptacle. Ils nous rappellent qu’en dehors de leur fonction pratique, ils ont une fonction primordiale qui est celle de l’imaginaire[2].
Kiran KATARA
[1] Pas de règles absolues, des exceptions.
[2] Baudrillard, Le système des objets, 1968