VERNISSAGE
FINISSAGE
Topologies
François Hinfray expose ses espaces topologiques
Définition du Petit Robert de Topologie, n. f. – 1933
De topo- et -logie, d’après l’anglais topology (1883). Branche des mathématiques qui étudie dans l’espace réel les propriétés liées au concept de voisinage et invariantes dans les déformations continues. -Structure où interviennent ces propriétés dans un ensemble. La topologie à d’abord été appelée géométrie de situation. Topologie sur un ensemble. Topologie produit, quotient.
Topologies
L’œuvre que nous propose François Hinfray témoigne du paradigme contemporain de l’interrelationnel, voire également de l’interculturel.
En effet, la démarche artistique de l’artiste, fondée sur des recherches mathématiques, donne à observer des agencements imaginaires de formes qui se répondent. Ces tribulations géométriques, sans cesse remises en question, proposent à l’infini différentes combinaisons possibles.
Tout se passe comme si dans l’inlassable travail du dessinateur il fallait de toute nécessité réinventer notre conception du monde et y repositionner ses premiers jalons. Les invariants de la géométrie deviennent variants, gagnent en couleur et en cela mutent vers la vie.
En apparence seulement les topologies de François Hinfray attestent d’une œuvre régie par l’abstraction. Cette dernière s’avère plutôt être réanimée, ensorcelée par la couleur. L’alliance forme-carnation qui s’en dégage atteste d’un heureux mariage entre l’esprit mathématique et l’exubérance vitale.
La grande rigueur de l’organisation des traits fait montre du sérieux de l’entreprise et pourtant les mondes dans lesquels nous sommes invités à entrer ne contribuent en rien à nous sécuriser, ou à nous démontrer quelque chose. L’enjeu de l’œuvre est ailleurs, il se situe aux confins du réel, dans les zones périphériques de notre imagination.
C’est ainsi que l’on peut également tenter des rapprochements avec les peintres aborigènes d’Australie et leur rapport au cosmos. Leur art du trait abstrait intègre celui de l’ordre cosmique, une convaincante symbiose relie la terre au ciel.
Avec François Hinfray il s’agit avant tout de concordances entre les lignes qui, activées par la couleur, nous permettent de nous détacher du réel pour nous y ramener de manière symbolique, ludique et jubilatoire.
Vous avez dit « Topologies » ?
Simone Schuiten a choisi d’intituler «Topologies » l’exposition de mon travail qu’elle accueille dans sa galerie. Choix plutôt surprenant : qu’est-ce que ce travail a à voir avec la topologie, branche assez absconse des mathématiques ?
Kiran Katara, à qui je dois la chance de cette introduction chez Odradek, penchait pour un intitulé plus simple, tournant autour du jeu car elle voit dans mes peintures ou mes dessins quelque chose de ludique et, aussi, d’agencé ou d’élaboré sur le mode d’une stratégie de jeu.
Mais pour Simone la référence aux mathématiques résonnait plus juste par rapport au sens de mon travail. Pour ma part, en jouant un peu sur les mots, je préfère parler de directions que de sens. De sens, a priori je n’en mets pas délibérément, mais je suis des directions évidemment, celles qu’ont tracé les innombrables prédécesseurs et inspirateurs, celles vers lesquelles m’entraînent mon propre goût et un style qui s’élabore un peu inconsciemment, celles que laissent les images qui ont marqué ma mémoire et y ont imprimé un paquet d’archives où je reviens sans cesse.
Donc ces directions semblent se combiner selon un certain ordre qui peut évoquer les mathématiques. Celui qui regarde est meilleur juge que celui qui fabrique et j’accepte ce verdict. Je reconnais le recours au calcul, la recherche des équilibres géométriques pas toujours faciles à atteindre (qui n’exclut pas une certaine triche), également le souci de correspondances et de logiques sous-jacentes, que l’œil perçoit sans que le regard conscient les identifie.
Mais tout cela ne conduit pas à la topologie et s’arrête bien avant. Alors pourquoi « Topologies » ? J’ai prononcé le mot en en débattant avec Kiran et Simone (lointain souvenir de mes études de mathématiques), qui spontanément l’a retenu. Sans doute pas par hasard ; le terme contient déjà la racine grecque, topos, le lieu. La même que dans topographie. Peut-être mes dessins, comme des tracés sur une carte, évoquent-ils le relevé de lieux imaginaires ? Mais la topologie, qu’on a nommé au départ l’analyse des situations, c’est autre chose. Pour la définir simplement, c’est justement la géométrie des situations, l’étude des propriétés de l’espace qui distingue un certain nombre de relations entre des objets géométriques (l’adjacence, l’inclusion, l’intersection, etc). Et cet autre chose semble avoir parlé à Simone, sur un mode intuitif.
Bien entendu, mon travail n’emprunte rien directement à la vraie topologie, ni à ses concepts ou à ses règles. Mais il n’est pas exclu de suivre dans un travail artistique une direction différente mais parallèle à une construction purement rationnelle et abstraite. Lorsque l’esprit pilote un travail aussi concret et manuel que la conception et la fabrication d’images, peut-être emprunte-t-il, d’une manière primaire et involontaire, les éléments de constructions beaucoup plus sophistiquées. Peut-être les voies d’un travail artistique croisent-elles celles que d’autres esprits ont suivies pour élaborer des objets d’une grande complexité théorique mais gardant un lien au réel. J’ai eu assez souvent cette impression devant les œuvres des peuples précolombiens, africains, océaniens ou des aborigènes d’Australie, œuvres qui avant d’être artistiques avaient d’autres fonctions sociales, rituelles, cosmiques. Et j’ai ressenti que souvent derrière leur simplicité graphique, leur géométrie sobre se dissimulait aussi une complexité muette et mystérieuse. Sans cette dimension d’une autre nature, je me demande comment rendre dans mon travail une profondeur comparable, spirituelle, sensible mais indicible.
Une telle réflexion, je l’ai rarement de moi-même. J’ai toujours le sentiment de créer des images de façon instinctive, puisant dans mon fichier personnel où s’accumulent vues de la veille, souvenirs de voyages, objets ou paysages entr’aperçus, flashs nocturnes, etc. Ma réflexion porte sur d’autres éléments, surtout pratiques, le support et le format, l’adéquation de la technique employée, la combinaison des couleurs, l’ajustement des proportions, les variations invisibles mais utiles. C’est pourquoi il m’est malaisé de parler de mes intentions et du sens de ce que je fais, et c’est pourquoi je préfère écouter ce que l’on peut en dire.
Pour en parler moi-même, il me faudrait avoir la distance que le spectateur, étranger à la fabrication, a par rapport à mon travail et qui lui donne une capacité de décryptage. Parfois laisser passer le temps et redécouvrir mon travail plus tard me permet de prendre ce recul et de ressentir quelque chose de différent que ce que je pensais avoir laissé. Pour rester sur un plan général, je me surprends ainsi régulièrement par mon penchant pour les couleurs et pour une certaine gaieté, notamment dans les peintures. Ce qui ne me semble pas vraiment coller à la réalité de mon caractère. Et, pourtant, c’est là en moi…
Alors la topologie, où se niche-t-elle ? Dans les modulations géométriques de mes dessins, les relations entre leurs parties, les déformations des lignes, la formation de réseaux ? La question n’est pas essentielle. Ce qui est intéressant, c’est que tout œuvre d’art contient plus, et autre chose, que ce que son auteur a cru y mettre. Et que le regard du spectateur agit pour lui-même comme un révélateur de cette autre chose, une autre chose qu’il apporte aussi en partie avec lui.
Le choix de l’intitulé de cette exposition aura donc eu, pour moi, le mérite d’enclencher cette brève réflexion, me faisant sortir de bornes de mon univers artisanal, et m’incitant à l’exprimer en quelques mots que je partage avec vous. Je remercie Simone et Kiran de m’en avoir offert l’occasion et vous-même pour votre visite.
François Hinfray