Périples
La prolifération des plis : un nouvel agencement grammatical
Niki Kokkinos présente chez ODRADEK un travail centré sur une pratique de réassemblage et de réorganisation de la spatio-temporalité au sein d’une œuvre plastique.
Voilà déjà longtemps que l’artiste s’est emparée de la matière papier ou polyester pour la démultiplier en effectuant des torsions par pliage. Se crée ainsi de la communication entre de nouvelles surfaces qui apparaissent et disparaissent dans l’acte de pliage/repliage.
Concevoir son travail artistique à partir de cette possibilité qu’est le pli revient à réaliser un acte philosophique que G. Deleuze met en évidence dans son ouvrage sur Leibniz.
Niki Kokkinos se mesure avec l’espace et le temps, elle manie des surfaces, qui, en passant du dedans au dehors et vise versa, se retrouvent tourmentées, inversées, basculées, en un mot contrariées eu égard à la logique d’un support plat. Plus de centre, l’artiste force la rigidité du papier, les bords s’intègrent, rentrent dans l’œuvre qui devient lisible sur ses deux faces. Dans chaque pli, nous pouvons considérer qu’un événement se réserve, est mis en attente d’un prochain dénouement-ordonnancement. Ces parcours hors limites et ces opérations de rabattement accomplissent et révèlent d’inédites trajectoires qui mettent en interaction des domaines en principe séparés ou opposés les uns aux autres.
Les délimitations du papier comme du cadre n’existant plus, l’artiste se doit de laisser des traces du traitement accompli, les manipulations du papier donnent dès lors suite à une opération de marquage. Celle-ci recueille et consigne les événements qui ont eu lieu. Il s’agit de garder des traces d’un parcours aux séquences temporelles variables. Dans chaque livret achevé, l’artiste nous raconte ainsi une histoire, celle d’un cheminement labyrinthique à la géographie variable.
Avec ce traitement radical de pliage sur une carte spatiale des îles grecques de ses ancêtres, Niki Kokkinos, comme Ulysse, quitte le domaine du connu. Comme Ulysse, elle se sépare des trajectoires directes. Des voies intermédiaires nous confrontent alors à de surprenants possibles, notre rapport au monde s’en trouve bouleversé. Des avancées insoupçonnées s’offrent alors à notre imagination libérée de son cadre raisonnable. Les détours occasionnés par le tracé-pli donnent à penser à une organisation baroque du mouvement, du temps et de l’espace. Cette dernière inaugure différentes possibilités desquelles peuvent surgir d’inhabituels raccords-accords d’idées, d’intuitions, de perceptions et pourquoi pas une écriture singulière, indéchiffrable.
A partir d’un seul et même fond, le support-monde assemblé et désassemblé change d’apparence tout en restant le même. Il se plie aux agissements de l’artiste, qui, à l’instar de Mallarmé et de Borges, tente de nouveaux coups en multipliant les perspectives les portant à l’infini.
Simone Schuiten