EXPOSITION | Saint-Gilles

VERNISSAGE

16/02/2023 à 18:00

FINISSAGE

18/03/2023 à 16:00

L’aventure silencieuse des espaces intervallaires

Du 17/02/2023 au 18/03/2023

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Maintenant ce n’est pas ce que je peins qui compte, mais ce que je ne peins pas.
Simon Hantaï

C’est en découvrant les dessins de Frank Vigneron exposés en l’Espace ODRADEK il y a quelque temps que m’est venu le projet de cette exposition dont le titre tient en une phrase de Rainer Maria Rilke : L’aventure silencieuse des espaces intervallaires. C’est à dire, selon mon interprétation, que les jeux d’espaces « blancs » (ou de valeurs très claires) sont des respirations, des silences, des « vides » qui, même si les surfaces colorées ou plus foncées qu’ils parcourent sont plus importantes, restent prépondérants.
André Lambotte

Il y a rien à voir
Cette exposition a pour objet de présenter les cinq artistes qui ont accepté notre invitation à faire voir et apparaitre le vide. Nous nous trouvons dès lors immédiatement confrontés à un paradoxe, « il n’y a rien à voir » si ce n’est des alignements, des pages de dessins, des traits séquentialisés, une notation répétitive ou encore une danse de petits jambages, nous attirant hors du connu et de l’intelligible.

Kiran Katara, André Lambotte, Albert Palma, Jacques Pourcher et Frank Vigneron défient les enjeux classiques de la représentation pour nous entraîner dans une pratique d’espaces intervallaires. Plus question de nous maintenir au bastingage de la distinction sujet-objet, du clivage binaire nature-culture, ou de la séparation vide-plein.

Tous les cinq ont, depuis longtemps déjà, abandonné les limites du principe d’identité et de différentiation. Ils nous entrainent par leur savoir-faire du dessin dans un cheminement non linéaire où les contradictions deviennent ou redeviennent possibles. Le chevauchement de signes, de graphes, ou autres points, ainsi que leur multiplication, empêchent notre esprit de vouloir lire et déchiffrer.

L’appel se situe ailleurs, en deçà des structures de représentations raisonnables, dans le décloisonnement de nos manières de percevoir. Celles-ci se trouvent remises en jeu, défiées par le langage singulier de chaque artiste. Mi dessin mi écriture, leur dispositif se développe en cheminant de manière à la fois émotionnelle, spirituelle et corporelle, c’est-à-dire qu’à la place des mots apparait une composition musicale, rythmique, poétique et picturale où la vie est  célébrée dans toute sa force vitale.

Il se fait que dans ces conditions nous pouvons établir un authentique dialogue entre l’art du trait de nos artistes et l’esthétique chinoise liée au principe fondateur qui la nourrit : le vide.

Afin de développer le paradoxe qui nous occupe, l’unique trait de pinceau, cher à Shitao[1], nous incite à nous immiscer dans une esthétique où nos rapports au monde sont fait de métamorphoses infinies, de jeux d’apparitions et disparitions et surtout de participations actives au fondement de toutes choses : le vide.

Qu’il s’agisse des traces de Kiran Katara, des graphies d’André Lambotte, des modulations de Jacques Pourcher, de la multitude des traits d’Albert Palma ou des jambages de Frank Vigneron, l’unique trait de pinceau en constitue le principe fondateur. Il intervient en tant que clé de compréhension participative de l’homme avec le monde.

Tout d’abord, il y a l’extrême simplicité que chacun trouve dans le choix du papier, procurant un dialogue avec la texture de celui-ci. Ensuite, seulement, de l’encre, de la gouache ou des crayons de couleur et beaucoup de temps. Enfin, la concentration liée à la méditation, c’est-à-dire un état d’esprit affranchi de toute futile contrainte.

Voilà ce qui permet au poignet de l’artiste de devenir vide ou d’être gagné par le vide. La main en suspension vit dans l’espace intervallaire, elle parcourt à la fois le papier et l’espace qui le contient. Elle se meut en symbiose avec l’esprit concentré de l’artiste qui lui donne sa liberté, et le papier qui lui offre sa réceptivité. Déconnectée de toute activité quotidienne ordinaire, la main déploie son énergie vitale par le souffle qui la relie au monde et qui anime toute chose.

En résulte un assemblage incessant de signes qui ne font qu’un, l’unique trait de composition. Celui-ci convie le spectateur à se préoccuper du dialogue que les signes entretiennent entre eux ainsi qu’avec leur embasement, ce fond indifférencié sur lequel les traces s’activent en pleine vitalité et mutation.

L’unique trait abolit la distinction corps-esprit, réconcilie l’un et le multiple, s’exécute dans le vide, donc dans rien de particulier. Et pourtant ce rien est le moteur de toute chose qui nous permet de trouver un commun dénominateur à l’esthétique chinoise et occidentale. Mieux encore, ce que nous qualifions volontiers de « rien » s’avère être nos profondes racines avec le monde.

Simone Schuiten

[1] Shitao appelé également “citrouille amère” est un moine peintre, calligraphe et poète chinois du début de la dynastie Qing.