Ghita
Remy
GHITA REMY
LA PIÈCE AUX BIFACES
Cette pièce est conçue à partir d’artéfacts lithique de la préhistoire. Ce sont des artefacts archéologiques récupérés auprès d’archéologues qui n’ont pas été retenus par les musées et les collectionneurs. La plupart d’entre eux ont été usés par l’usage préhistorique et certains sont sous l’état de fragments ou de chutes. Ces pierres abîmées telles que celles que j’emploie sont les principaux déchets laissés par nos ancêtres de la préhistoire. Certains de ces silex ont précédé les fameuses pierres polies symboles de l’arrivée du Néolithique et de la sédentarisation de l’homme.
À travers cette pièce, je cherche à briser le silence de ces objets.
En les réactivant à travers cette sculpture éphémère, je veux susciter de nouveaux champs de possibles et d’interactions de l’homme à travers son déchet.
La structure et l’agencement des pierres s’inspirent de constructions animales telles que la larve de spongillafly qui réalise une toile protectrice tissée pour recouvrir ses œufs. Elle se réfère également au fourreau de pierre créé par la larve de trichoptère qui l’utilise comme outil pour mieux s’oxygéner, comme armure, ou comme camouflage le temps de son état de larve. Ou alors d’autres constructions m’inspirent, telle que celle de l’urodidae qui réalise son enveloppe d’état intermédiaire lors de sa métamorphose. Cette conception à base de soie est appelée maillage.
La construction animale a beaucoup à nous apprendre tant au niveau technique qu’au niveau de la matérialité et de la temporalité de l’objet créé et utilisé. Ces objets disparaîtront une fois leur rôle accompli. Ils sont souvent l’outil intermédiaire d’un changement d’état. C’est pourquoi ma sculpture est éphémère. Les pierres sont méticuleusement et soigneusement assemblées l’une sur l’autre et tiennent entre elles à l’aide d’une composition argileuse ou de cire d’abeille selon son installation. La pièce est assemblée sur place et dure le temps de son exposition. (Si elle est exposée dans la nature, elle se dégradera au fur et à mesure, laissant apparaître une structure métallique en émaillage.) Cette dernière rappelle à la fois la construction animale, mais également, la construction en 3D et les structures métalliques qui soutiennent les squelettes dans les musées. Les pierres qui couvrent la pièce ne sont alors qu’empruntées. Cette pièce rejoue le rôle de la conservation, de la mémoire et, dans une certaine mesure, la survie, concepts auxquels le musée se rattache. Il est bien question d’héritage, mais sous un autre prisme, une autre temporalité.
En perspective, ce qui se joue à la fin du paléolithique, représenté par la pierre taillée, n’est pas moins que la naissance d’un nouveau mode de société dont nous sommes les héritiers. La révolution néolithique dépend à la fois des progrès préhistoriques fulgurants, mais également de l’idée que l’on se fait aujourd’hui de l’anthropocène et la domestication du monde. Avec la néolithisation du monde, il ne s’agit pas seulement de la domestication des plantes et des animaux, mais aussi de la domestication de l’homme par lui-même.
Ces déchets sont les vestiges qui nous restent d’un ancien mode de société et de rapport au vivant et au monde. D’une certaine manière, je cherche à compromettre notre vision du déchet par une sculpture qui interprète un nouveau mythe, une autre histoire où la frontière entre construction, technologie, déchets et outils animaux se perd et se réincarne.
En partant du principe qu’il est temps de réinventer de nouveaux récits et que ceux-ci passent par l’exploration du monde de nos ancêtres. Ce travail pose la question de ce que l’on a pris pour vrai et faux, et ce que l’on a oublié. Il espère pouvoir ainsi revisiter ces récits et créer de nouvelles histoires à partir de données que l’on a récoltées et de ce que l’on pourrait imaginer.
Je pense qu’il y a un intérêt aujourd’hui à revisiter de nouvelles manières d’habiter le monde, imaginer ce qui aurait pu exister ou de ce qui pourrait exister.
Il faut réinventer des nouveaux possibles pour repenser une viabilité du monde et il se pourrait que ceux-ci passent par de nouveaux récits.
LES FOSSILES
Réalisées à partir d’une matière spécifique, en vue de confectionner un trompe-l’œil, ces pierres artificielles, par leurs réalisations d’empreintes et de traces, s’approprient et interprètent la valeur propre au fossile. Des déchets plastiques familiers de notre quotidien sont incrustés dans ces pierres artificielles. Ces derniers sont mis en scène avec des fossiles d’animaux.
Par ces pierres, je cherche à faire voyager l’homme à travers les couches du temps, c’est-à-dire ce qu’on appelle la stratigraphie. Je montre ce qui pourrait transparaître de la strate de notre monde contemporain dans le futur. La découpe d’une pierre est une allégorie à la découpe du temps et de l’histoire. Aussi bien en archéologie qu’en paléontologie, étudier la stratigraphie c’est étudier la terre par ses différentes couches géologiques afin de saisir le contexte du monde et la datation.
Les archéologues et les paléontologues exhument l’archive du sol par strates, l’une après l’autre, comme page après page pour tenter de nous traduire les signes, les empreintes ou le souvenir qui ont pu laisser leurs marques. Une fois traduit, on nous conte une histoire chargée de sens et de messages. Ces dernières posent la question de que peut l’histoire face au mythe. Par exemple, il nous a été raconté depuis les penseurs chrétiens pendant des siècles que le fossile était la preuve même du déluge biblique. Aujourd’hui, par la stratigraphie et les données fossiles, on nous conte l’histoire des extinctions de masse et chemin faisant celle qu’on est en train d’engendrer.
En biais de ce voyage temporel de l’ordre de la fiction, l’homme est représenté par ses déchets les plus familiers, prolongation de sa main, technologie propre à l’utilité. Son humanité, son histoire et sa culture mais surtout son rapport au monde et au vivant se traduit par leur seule présence et l’interaction qu’ils ont pu avoir avec les autres formes de vie.
Mon procédé de fossilisation des déchets permet de les incarner dans un nouveau prisme d’interprétation où elles sont mystifiées, elles deviennent des artefacts archéologiques, entre reliques et déchets. C’est faire de ses objets des objets d’histoire qui semble désigner la frontière plus mince que l’on croit qui sépare la science et la croyance.
A travers le mythe et l’histoire entre les strates archéologiques, je cherche à rendre visible la trace de l’humanité contemporaine à travers nos déchets les plus familiers, de l’une de notre part la plus sensible, vulnérable et insoupçonnée.
Email : remyghita@yahoo.be +32 487 99 56 50