Ulla Hase, née à Kiel (Allemagne), a étudié à Hambourg et Maastricht. Vit et travaille à Bruxelles.

Son travail, dessiné avec des stylos venant de fournitures de bureau, est basé sur un processus de dessin rigoureux dans lequel elle transforme ses inspirations et idées en gestes précis et les condense dans une sorte de processus de sublimation. 

Rien que du geste

Interpellée par « Une brève histoire des lignes » de Tim Ingold, Ulla Hase s’est concentrée, cet été, sur l’acte de dessiner des lignes.

En choisissant des papiers de grands formats, des pages de plus d’un mètre cinquante sur deux mètres de haut, elle trouve un terrain d’expression pour sa pensée devenue main. De la manière la plus irréfléchie possible l’artiste entame sur le support partenaire, une avancée au tracé aléatoire. La main ayant reçu plein pouvoir, force et énergie mobilise les cinq sens pour passer à l’acte. Il y a cette impérieuse nécessité d’exprimer son intériorité en trouvant un passage du dedans vers le dehors. Dessiner n’est autre, alors, que produire des lignes au gré de petites perturbations chargées de créer de plus grandes divagations. Le rythme, en acceptant égarement et désordre, donne naissance à l’acte performant ainsi, par la même occasion, espace et temps se font la nique.

Par ses petits dérèglements spontanés Ulla Hase rompt avec la linéarité régulière pour nous offrir une spéculation visuelle qui ne discourt qu’en de multiples silences donnant du corps au support qui rend visible son tracé.

Les pages d’Ulla Hase, au mouvement continu du geste, nous parlent le langage inscrit de l’émotion. Ici l’artiste, investie, dans un cheminement, ne cherche jamais à aller droit au but (elle n’en a pas !), elle laisse ses lignes se développer au fil d’un aller-retour au rythme de répétitions-perturbations.  Ce trajet du poignet aux multiples possibles alimente l’essentiel de son travail.

Dans mes dessins j’engage mon corps et mes pensées dans l’espace-temps du processus du dessin même. Pour moi celui-ci est un moyen de transformation du trait, c’est-à-dire un espace physique et mental en mouvement. Cette interaction de la main et de l’esprit engagée sur le papier m’aide à approfondir et à structurer mes émotions.

Les lignes que je trace rendent tangible les plus petits changements qui s’engagent progressivement dans des changements majeurs. Il y a alors des écarts, de petites interceptions, des irrégularités pouvant aller de la fragilité des traits jusqu’au saignement de l’encre.

Nous avons vu que les lignes d’énergie de la médecine chinoise traditionnelle pouvaient à la fois être des fils-vaisseaux parcourant tout le corps et des traces d’encre sur la surface de la page. Les lignes peuvent-elles donc être, comme des veines, des tubes par où s’écoule la matière – comme les pipelines pour le pétrole, le gaz et l’eau, ou les trompes des insectes et des éléphants ?[1]

Simone Schuiten

[1] Tim Ingold, Une brève histoire des lignes, Zones sensibles, P.72

Crédit photos Silvia Cappellari