Diagrammes, traces et graphes
Simone Schuiten à propos de Kiran Katara
Architecte, professeur à la Cambre et interpellée par ses origines indiennes, Kiran Katara interroge le rapport mots-images en convoquant sur papier de l’énergie non encore codifiée. De cette manière, sa démarche s’apparente à la philosophie contemporaine de Gilles Deleuze qui révèle l’existence d’une pensée par diagramme, une pensée diagrammatique.
Nous découvrons ainsi dans ses assemblages une quête raisonnée d’un mouvement ou souffle qui anime nos associations élémentaires. Par son dessin ou tracé une disposition graphique advient pour présenter des variations mots–images. Les diagrammes de Kiran Katara nous montrent et nous expliquent à leur manière que les relations entre le tout et les parties s’avèrent mobiles, changeantes et paradoxalement s’harmonisent selon une logique qui leur est propre.
Qu’il s’agisse des variations d’un phénomène, une tache d’encre ou d’une trace dans l’épaisseur du papier, une déclinaison trouve un point de fuite et de déploiement mais aussi de repli.
Les recherches de l’artiste cheminent, ou plutôt s’acheminent à partir d’un dispositif d’agencement de signes qui favorise la variation et la communication entre des séries divergentes. Tout se passe comme si l’artiste parvenait à donner la parole à ses mains laissant surgir du tracé en tant que mouvement de la pensée.
Le diagramme, lieu de spéculations graphiques sert à produire de la différence en nous rendant capable de voir, comprendre et penser en dehors de la séparation usuelle écriture-image.
Ici, dans les diagrammes textuels, une écriture architecturale apparait tout en mutation et en de venir, c’est-à-dire que les assemblages s’avèrent perméables à l’altérité.
Ce qui se joue dès lors dans l’œuvre de Kiran Katara relève d’une logique cartographique désolidarisée des enjeux modernes comme la technique, l’efficacité ou la rentabilité. Pour comprendre la vocation de cette artiste il faut se rendre réceptif à ce qui précède la pensée et les mécanismes de représentations classiques. Il nous faut accueillir ce qui se manifeste dans le changement, le mouvement, l’éphémère, en un mot dans la notation diagrammatique.
Arthur Schopenhauer, en s’initiant à l’indouisme et en se référant aux Upanishads et aux Vedas, considéra que le monde en tant que représentation -exacerbée par l’homme moderne- appartient aux catégories de notre entendement formaté par le principe de raison. Par contre, le monde en tant volonté -s’apparentant à l’indestructibilité de l’être- est constitué d’énergies brutes. Il s’agit du principe vital du meurs et deviens, ou encore de la dualité fondamentale attraction-répulsion. Nietzsche en fera un hymne à la vie qui aboutira à une apologie de la volonté de puissance.
Comprendre la pensée diagrammatique revient à se rapporter au monde en tant que vouloir vivre et aux forces fondamentales en devenir. Celle-ci se déploie selon le principe vital du rythme pulsion/contraction.
Kiran Katara, réceptive à l’Orient et par les graphes auxquels elle donne vie, pratique la philosophie dans le sens le plus large du terme puisqu’elle revient à ce précède la pensée. Elle nous prouve ainsi qu’il y a du devenir dans le tracé.