Mémoire du vide
Léo Baron annonce le titre de son exposition chez ODRADEK, novembre 2022 : Mémoire du vide. Il est en résidence afin de finaliser son projet. Tout ce que je transcris vient de nos échanges devant les peintures, celles qui sont finies, celles qui sont en cours.
En écoutant Léo, je repense aux travaux antérieurs. En 2018, à ODRADEK, Léo présente des encres sur papier vélin, marouflées sur toile. Des collages. Des rectangles de signes et de couleur. Des agencements binaires, chaque quartier répondant à un autre. Des compositions qui jouent avec les transparences et les débordements. Simone Schuiten parlait d’une « trame équilibrée par le vide ». Déjà le vide. En 2020, toujours à ODRADEK, ce sont des ensembles marouflés sur bois où les courbes modifient le balancement des axes et réinvente le mouvement. Il y a également des livres-coffrets, inspirés par un séjour à la Villa Médicis, où les traits d’un « pinceau préparé », comme John Cage préparait son piano, descendent verticalement en réponse aux lignes des poèmes.
Les peintures de cette nouvelle exposition sont des formats 80X80, en bois, composés pour une bonne part d’une couche primaire sombre, recouverte d’une laque blanche. Léo utilise un râteau pour attaquer le blanc afin de faire surgir les traces d’une danse, une écriture à peine esquissée, impossible à déchiffrer. La difficulté, dit Léo, c’est de défendre la force de l’esquisse sans affaiblir le blanc. Le blanc serait-il le vide ?
Léo répète qu’il doit retrouver le chemin de la peinture. Le lieu où la peinture s’impose. Il avance à tâtons. Il a besoin des œuvres déjà réalisées pour en faire de nouvelles. Il rêve d’un signe qui contiendrait tous les autres. Un signe qu’il n’a pas encore vu. Un rien qui dirait tout. Il me parle d’un deuil. Écrire à quelqu’un qui n’est plus. Il me parle d’un vide pour que le plein ne déborde pas. Léo s’échauffe : « Il faut secouer ce putain de chaos !… Le faire avec gourmandise ! La composition du tableau m’échappe car elle résulte autant de mes choix que des événements. Je vais donc vers ce que je ne sais pas ! »
Effacer pour inscrire. Pour créer. S’effacer pour l’inattendu. Le tableau apparaît quand le peintre cède la place, quand il se dissout dans l’événement. Le tableau vient à contretemps. Il vient du vide si on l’envisage comme ce qui n’a pas encore de figure. Ainsi, le tableau serait la mémoire du vide. Travailler par couches superposées permet une double approche : gratter le blanc pour que naissent les traces et recouvrir ces dernières afin de préserver la puissance de l’immaculé. L’effacement est synonyme de simplicité. De retenue. L’esprit du noir et du blanc. L’architecture sans ornements.
Léo revient sur son parcours. Il me raconte qu’à partir de 1983 il construit une maison pour peindre. Une tour circulaire, un puits de lumière attenant à l’atelier. En 1985, en connivence avec l’architecte Yan Brunel, il conçoit un mur de 40 mètres carrés, taillé de signes en creux, pour la Bibliothèque Centrale de Prêt des Pays de la Loire. Le sillon est tracé ! Désormais, Léo explorera le geste d’inscrire dans la matière. L’œuvre prend naissance dans les matériaux du bâtiment. Puis viennent des grands formats. Des architectures de papiers collés, chargés de signes, gorgés d’une couleur sombre. La griffure d’un « pinceau préparé ». Les coulures de Françoise. Pour le moment, le retour du râteau. Inscrire jusqu’à l’effacement.
Préparer une exposition, c’est refaire le parcours, mais en suivant un autre chemin. Chercher ce qu’on a toujours été. Se confronter à la surprise d’exister. La solitude. Celle-là même que nous essayons d’enfuir et qui nous percute quand survient l’amour, la mort, la création, l’irrémédiable d’une maladie. Le réel nous troue la peau. Le tableau en est la carte. Il nous oblige à l’esquisse d’une danse, une mise en danger qui parfois ouvre des abîmes insoupçonnés.
Étienne Leclercq