De la Villa Médicis au confinement à Carrouges
Le pouvoir des signes
Mais quel vent a donc soufflé ce printemps dans l’espace du Carré Rouge ou Léo Baron a été assigné pendant de longues semaines à résidence – pardon: à l’atelier ? Les pinceaux et les encres auraient-ils profité du confinement de leur maître pour se déconfiner ? Toujours est-il qu’une envie d’école buissonnière semble avoir déferlé sur les signes du peintre…
Une fronde vient de faire voler en éclat la rigoureuse ordonnance des grands diptyques, qui tenait à sa poigne signes noirs et passages encrés. Les pages criblées qui faisaient vis à vis aux longs glacis d’encre ne sont plus! A croire que les milliers de points qui couvraient les toiles par moitié se soient rassemblés ailleurs, coagulant leur force pour faire éclore dans chaque nouveau dessin un méga-signe !
Unique et considérablement agrandi, ce dernier né tombe sur la page de papier comme un aérolithe se détache d’un ciel criblé d’étoiles. Effronté, il reprend à son compte toutes les encres qui jusque-là dialoguaient avec les points qu’il vient de faire disparaître. C’est à larges coups de pinceaux qu’il se construit, dans une liberté qui fait tourner la tête aux lignes et aux couleurs. Les droites doivent dialoguer avec des courbes, et la traditionnelle palette de noir et de brun a été forcée d’accepter le bleu, et le rose…
Voilà qui inaugure une toute nouvelle langue dans cette peinture. La langue d’un signe contre une langue des signes… Exit les longues pages de traces alignées. Plus de lignes, plus de texte – une seule lettre. On dirait que le peintre s’essaie à une écriture neuve, pour laquelle il lui faut apprendre à tracer chaque caractère, comme s’il se faisait la main à des kanjis personnels. Des caractères japonais dont l’allure squelettique – ils sont faits de traits qui ne sont pas toujours jointifs -, auraient trouvé leur chair dans la couleur ou le noir profond des encres.
Oui décidément ce printemps Léo Baron a permis que se déroule dans son atelier une étonnante aventure. Lui qui tenait si bien en laisse sa cohorte de signes leur a permis de déserter : sortis de leur corps d’armée, ils ont gagné une liberté qu’on n’aurait pas imaginé leur voir prendre. De simples caractères ils se sont transformés en emblèmes. De boutons ils sont devenus fleurs. Comme ceux des quartefeuilles, leur quatre pétales se sont ouverts pour gagner en taille et produire une forme, ils se sont épanouis dans des traits et des teintes par lesquels la main du peintre semble avoir voulu, à leur suite, se déconfiner…
Qu’adviendra-t-il aux grandes compositions, qui sont déjà guettées par ce souffle nouveau ? La majestueuse crosse noire qui s’impose sur l’une d’entre elles va-t-elle trouver des sœurs ? Un avenir tout proche devrait nous dire si cette nouvelle forme d’empreinte n’est qu’une trace éphémère, comme celle d’un pied léger qui n’aura foulé le sol qu’une saison, ou si elle a vocation à devenir la marque profonde et durable d’un peintre qui se rend au pouvoir de la nouvelle écriture que lui proposent ses signes…
Catherine Deknuydt