Souffles d’ardoises
« Souffles d’Ardoises »
Comme pour toutes mes sculptures, les « Souffles d’Ardoises » sont le résultat d’un long cheminement d’observations, d’écoute et de respect de la matière ardoise.
Ils sont cependant, pour moi, une étape importante dans ma connaissance de celle-ci, car ils donnent à voir son « intériorité ».
Tout a pris corps alors que j’étais en carrière pour réaliser le découpage de trois blocs de schiste ardoisier qui devaient entrer dans ma sculpture « Stances d’ardoises » pour un parc à Louvain-la-Neuve. Chaque bloc devait être découpé pour arriver à une forme arrondie et cela a donc demandé de nombreux traits de coupe et plusieurs jours de mise en œuvre.
Pendant ce long travail de découpage, mon regard fut attiré par l’eau de sciage qui giclait sur le mur, face à la scie, avant de s’écouler dans des caniveaux vers les bacs de décantation. Cette eau charriait la matière retirée du schiste ardoisier par la scie, donnant à voir une eau grise parcourue par des traces noires ondulantes. Et je trouvais cela beau. J’en fis part au technicien qui, lui, n’y voyait que de la boue… Mais à mes yeux, quelle belle boue !
De cette observation me vint l’envie de plonger, dans ces caniveaux, des papiers aquarelle. Ce que je fis le lendemain, et ces papiers se chargèrent des résidus de la matière ardoise. Quand je les trouvais suffisamment couverts et gris, je les retirais de l’eau. Une fois tous utilisés, je les conduisis à l’atelier pour les mettre à sécher.
Et c’est le lendemain matin que le choc eut lieu, car, en séchant, la poussière d’ardoise, le sédiment constitutif de l’ardoise, véhiculé par l’eau et déposé sur les papiers, avait migré ne donnant plus à voir une surface uniformément grise, mais des paysages de brume, de montagnes, de mers agitées rappelant les grisailles de certaines peintures chinoises…
Mon émerveillement devant cette transfiguration ne s’arrêta pas là, car mon regard se posa alors sur les surfaces d’ardoises gisant au sol dans l’atelier. Et ce fut le choc, car je réalisai que ces « images » découvertes sur les papiers aquarelle se retrouvaient aussi sur les surfaces de clivage de l’ardoise. Ma réaction fut immédiate : l’ardoise aurait-elle de la mémoire ??? Et cette interrogation m’apparut incontournable car se retrouvait sur les papiers le constituant de sa matière. Et la question de la mémoire de la terre enfouie dans ses strates se posa de façon évidente.
Ces papiers devenaient l’expression du « souffle indistinct » de l’ardoise, de la réminiscence de son ancestralité, un peu comme chaque être humain portant en lui la trace de ses ancêtres. {Concept décrit par le psychanalyste Pierre Fédida.}
Et de cet émerveillement devant ce que la nature avait bien voulu m’offrir sont nés les « Souffles d’Ardoises ».
Pour concrétiser tout cela il me restait à assembler, à faire correspondre, les « images » apparues sur les papiers et celles présentes sur les surfaces des ardoises…
Anne Jones