VERNISSAGE
FINISSAGE
Pli contre pli
Le pliage comme mode d’engendrement du tableau.
Le pli, dispositif mouvant et producteur de complexité, intègre la temporalité dans la spatialité, il permet la transformation du tableau dont la surface apparente n’est qu’une de ses modalités de se donner à voir.
L’œuvre en devenir
Pour une troisième exposition en nos lieux, Niki Kokkinos s’attelle encore à faire bouger les limites de la feuille de papier.
Fidèle à la philosophie et à sa pratique du « pli », elle continue à imposer à une surface de départ des variations, superpositions et déplacements.
Pour apprécier ses manipulations et ses créations, nous nous référons à Gilles Deleuze[1], qui compare le pli à une monade dans le système philosophique de Leibniz. Celle-ci serait à considérer comme un pli du monde ouvrant des perspectives baroques aux multiples trajectoires singulières.
De connivence avec l’esprit baroque, Niki Kokkinos enclenche un processus de chassé-croisé entre l’intérieur et l’extérieur, le dedans et le dehors, l’apparition et la disparition, dans lequel chaque petite « monade » ou « pli » constitue un espace en soi et une temporalité unique éphémères.
De par son dynamisme et son mode de développement, le pli nous sert ainsi de fil conducteur, il implique une vision du monde que nous pouvons comprendre comme étant non linéaire, seulement hétérogène, multifocale c’est-à-dire propice à l’inattendu. Cette approche nous fait perdre nos repères les plus solides comme l’homogène et la linéarité de la pensée. Il nous impose la prolifération des trajectoires, la multiplication du mouvement et nous renvoie à un déploiement infini du tout se plie et se déplie.
Notre mémoire, tout comme nos différents apprentissages, serait dès lors constituée de cette façon instable, séquentielle, continue et discontinue.
Les pliages et dépliages de Niki Kokkinos nous rappellent ainsi que notre manière de faire monde relève d’une multiplication instable de signes plus ou moins intelligibles.
Partant du constat que le donné de départ est déterminant et conditionne ce qui va advenir, l’artiste s’en prend dès le premier geste à la forme du support. D’habitude Niki Kokkinos se livrait à un premier pliage sur une feuille rectangulaire, carrée ou circulaire, ce qui déterminait l’avenir de l’assemblage. Maintenant, pour élargir son champ d’expérimentation, elle découpe des formes polygonales qui engendrent un tout autre devenir du dispositif de départ.
Les plis-monades chez Niki Kokkinos constituent un univers-monde, ils prennent parfois la forme de petites vagues traçant sur le bord du papier des signes asémiques. Ondulant en se répétant, elles nous entraînent dans le déploiement quasi musical d’une fugue.
Consciente des possibles variations rythmiques et poétiques, l’artiste a proposé à la pianiste Laurence Mekhitarian de donner un récital au sein de l’exposition. Depuis, les deux amies se mettent au diapason pour concilier entre autres l’art de la fugue chez Bach avec l’art du trait et les arrangements plastiques.
De son côté, lors d’une conférence parmi les œuvres, l’architecte Jean Stillemans abordera la question des spatialités produites par les travaux de Niki Kokkinos.
Simone Schuiten
[1] Gilles Deleuze « Le Pli. Leibniz et le Baroque ». Paris, Minuit, 1988