De la Villa Médicis au confinement à Carrouges
Concordances
Léo Baron revient chez ODRADEK pour y présenter des livres-coffrets où traces de pinceau et traits d’encre accompagnent les textes de Daniel Kay, Florence Barthelemy et Catherine Deknuydt. Datant de la résidence de l’artiste à la Villa Médicis en mars et avril 2017, le projet de livres uniques rend possible la rencontre d’une écriture poétique avec son complément pictural.
Fuyant le savoir académique, Léo Baron s’exécute dans un travail gestuel qui lui permet de développer une réflexion approfondie sur les traces qu’il laisse aux côtés de pages imprimées. Celles-ci le mènent depuis quelques temps déjà sur la voie des correspondances entre écriture plastique et écriture poétique. Tout a commencé par un texte en prose de Florence Barthelemy portant sur le travail du peintre et déclenchant chez lui « une certaine porosité » explique-t-il. Léo Baron a donc été touché. L’homme aux mains et à l’esprit perméables a dès lors cherché des concordances entre son univers et celui de la prose. En résulte une conversation où traits d’encre et mots révèlent la continuité d’un double assemblage. Le livre dégage ainsi des tensions dynamiques entre les mots imprimés rendus à leur liberté de parole et l’infra-verbal des traces du pinceau. Le peintre parvient par les signes qu’il actionne à donner vie au texte, lequel se met à signifier plastiquement.
Léo Baron, toujours à l’affut de nouveaux passages, a repéré, dans l’entretien avec ses complices, une articulation qui lui permet d’œuvrer à la marge de la musicalité de la langue et du signe. Il lui suffit de quelques traits d’encre pour redonner à la rigidité de la formulation écrite le goût du désordre ou d’un autre ordre. Il s’agit bien de rencontres sous formes d’approches entre deux pages accolées l’une à l’autre et pourtant distinctes. La fusion, sans être totale, fait seulement montre d’un dégagement entre des entités qui se parlent. Les binômes constitués existent à partir d’un écart, d’un certain décalage. Ils appartiennent à l’entredeux des tensions constantes vide-plein, légèreté-densité, transparence-opacité…
A propos de sa pratique, Léo Baron dit ceci : Ce qui prend place est un flux qui est à la fois contrôlé et très libre. Le travail de la légèreté est fondamental, c’est une danse. Tu donnes le mouvement aux éléments et pour donner la vie, il faut que ce soit dans le corps, que ça passe par le corps : mouvements, respiration, rythme, énergie. Après toutes ces années, j’ai installé une forme de connaissance de soi. Comme un athlète.
L’artiste n’a pas pour autant abandonné la peinture sur châssis et les grands formats où les partenaires couleurs et graphies continuent à correspondre en s’entre-croisant. La marge reste présente, elle indique que quelque chose se présente à partir d’un assemblage entre les aplats et les trames graphiques. En accord avec les transparences de couleurs, les marques calibrées par un unique pinceau ponctuent parfois de manière aléatoire la rencontre de la couleur avec l’écriture devenue abstraite.
Léo Baron s’est rendu maître des corps à corps ; de l’homme avec la peinture et les graphes parfois tracés à l’aide d’un râteau de jardinier, ou via un pinceau calibré selon la main qui le manipule. Maître des espaces qui se chevauchent en parlant un langage silencieux et enfin maître du passage du corps du texte écrit à celui de la couleur tracée par la main dansant sur le papier.
Simone Schuiten