VERNISSAGE
FINISSAGE
Ce qui traverse
Ce qui traverse
Dépassant le dualisme moderne de la séparation nature-culture, Amélie de Beauffort nous propose une démarche esthétique questionnant les rapports artiste-dessin ainsi que les connexions homme-monde. Ce n’est pas l’angoisse de l’artiste face à la feuille blanche qui nous préoccupe ici mais les différents accords possibles que celui-ci peut établir avec le papier par exemple, c’est-à-dire ses contacts physiques et métaphysiques avec le support. C’est à ce dernier, en sa matérialité, que l’artiste-interlocutrice s’adresse en tant que partenaire. Ce genre de relation peut conduire à une écriture biomorphique, nous y reviendrons.
Encouragée par ses lectures de G. Deleuze et le paradigme très actuel de mésologie, Amélie de Beauffort se préoccupe des interactions qu’elle voit ou qu’elle rend possible entre son environnement et la vie qui suit son cours. Pour Augustin Berque, auteur de plusieurs ouvrages sur le paradigme de mésologie, il s’avère urgent de renouer avec le cosmos, de « recosmiser » l’existence humaine, c’est-à-dire de retrouver un lien sensible, qualitatif, transitif avec la terre.
Très concrètement, Amélie de beauffort s’emploie à percer, poinçonner, graphiter différentes surfaces afin de laisser circuler du vide, de la lumière ou un regard. Les tensions dynamiques qu’elle obtient favorisent, créent ou recréent du passage entre différents mondes. D’abord celui de l’artiste qui n’est plus maître de sa réalisation mais qui est plutôt en symbiose avec les éléments qu’elle rencontre et ces derniers, le papier, ou le support existant en tant qu’interlocuteur.
L’artiste les laisse réagir à leur manière, leur en donnant l’occasion ou en les sollicitant de manière parfois incongrue. N’hésitant pas à se comparer à une tique, elle reprend les 3 fonctions chères à G. Deleuze : se laisser tomber, explorer, percer. Dès lors, l’appui ou l’écran n’est plus passif, ni surtout considéré comme tel, il est plutôt agent actif réagissant.
Cette mise en présence du support, cette rencontre avec lui, -qu’il s’agisse du papier, d’un tapis protecteur de la table de travail, d’une grille servant de filtre ou autre trame- s’avère particulièrement significative d’une prise de conscience dont nous sommes les contemporains.
La perte des grands récits et des grands thèmes nous permet de nous focaliser sur un présent-ici et de le regarder de manière affranchissante, c’est-à-dire transformatrice.
La démarche artistique d’Amélie de Beauffort révèle ce propos. Sa rencontre avec les surfaces en tant qu’espaces manifeste un état d’esprit disponible à … et reconfigure d’inattendus branchements entre nous et le monde. Nous sommes donc invités à percevoir des relations entre les différents pôles que la pensée moderne s’est acharnée à séparer. Le sujet (l’homme) peut alors se réconcilier avec l’objet (la nature) ce qui permet dans la foulée au monde animal et végétal de retrouver le droit à la communication.
L’exposition d’Amélie de Beauffort en nos lieux correspond en tout point à cette vocation de l’art que nous défendons et qui en constitue la ligne philosophique.
Une pièce présentée dans l’exposition en est le meilleur exemple, il s’agit d’un carton d’invitation de la galerie Greta Meert, qui resté durant les vacances dans la boite aux lettres de l’artiste, a subi une métamorphose « artistique ». Des escargots suceurs, ayant apprécié la qualité du papier et de l’encre, ont transformé le courrier invitant en une œuvre révélatrice de notre conception de la rencontre : une altérité partagée.
Visiblement ces escargots ont laissé des traces, on pourrait dès lors se demander s’ils sont capables d’écrire ? En tout cas dans leur message biosémique il y a quelque chose qui convient à Amélie de Beauffort et qu’à notre tour nous retiendrons en tant qu’invitation à l’immixtion dans le monde du vivant ainsi qu’à une réconciliation, voire même une complicité avec lui.
Simone Schuiten