Les encres de Kiran Katara, un trait posé, déposé…

Simone Schuiten

Kiran Katara nous confie des séries de compositions ou symphonies de traits réalisés à l’encre de Chine. Il s’agit de recherches tentant à revenir au geste fondamental de l’art du trait, qui l’engage dans une pratique expérimentale relevant tant de l’écriture, de la poésie que du dessin. Ce travail d’abord plastique cherche à développer une pensée du blanc et du vide qui favorise le surgissement du trait.
L’ensemble, en trouvant une nouvelle dimension spatiale, devient alors texture. En gardant le geste de l’écriture, c’est-à-dire en procédant le plus souvent de gauche à droite et de haut en bas, Kiran Katara peut juxtaposer ses traits mais aussi les faire explorer d’autres points de fuite. L’écriture se métamorphose alors pour donner place au dessin, qui lui-même devient agencement de traits. La transformation qui se réalise silencieusement et en douceur fait émerger une poétique du dessin. Elle déroule des états émotifs qui révèlent une certaine connivence avec la calligraphie chinoise.
Ce qu’elle appelle ses « poéysages » annoncent l’association signe-réalité que l’écriture alphabétique a abandonné depuis longtemps. Écrire, c’est tracer ce qui nous arrive ici/ maintenant et qui advient ou surgit de la manière la plus authentique et spontanée possible.
Kiran Katara s’interroge sur les fondements premiers du dessin et a pour gageure de quitter certains aprioris. De cette façon la décomposition des schémas habituels est tentée, tout comme une remise en question de présupposés de lecture et de déchiffrage d’un texte. Questionner les origines du dessin revient pour elle non seulement à revalider ce moyen de représentation mais également à le considérer comme outil actionnant la pensée.
Pour l’éminent sinologue français Léon Vandermeersch, Kiran katara produit des graphèmes, c’est-à-dire des traits composés de telle manière que l’écriture semble encore à l’œuvre sans pour autant nous donner l’occasion de déchiffrer des significations exactes.
En multipliant et en accumulant des traits/jambages, en accentuant leur mouvement ordinaire Kiran Katara produit des signes auxquels elle donne vie. De cette manière, assez proche de la calligraphie chinoise, elle œuvre à partir du geste du poignet et part à la recherche de la texture du signe.
Les graphèmes de Kiran Katara prouvent, comme lui a laissé entendre Léon Vandermeersch, que l’écrit a encore quelque chose à révéler en dehors de l’oralité et de la lisibilité ordinaire.